Whisky Pieuvre

Whisky Pieuvre

vendredi 11 février 2011

Triste époque pour l'expulsion

La vie est une succession inlassable de rideaux tombés. En réalité, la vie c'est aussi quatre cents soixante-huit autres choses, définies et énumérées tout aussi radicalement dans un recueil qui devrait bientôt paraître à compte d'auteur sous le titre Aphorismes vrais sur la vie, à condition que les éditions de Minuit aient un minimum le sens de la beauté métaphorique et acceptent mon paiement en tupperwares de chagrin, mais enfin on peut douter de la sensibilité artistique d'éditeurs capables de traduire leurs auteurs tchèques ou de placer le titre d'un livre sur sa première de couverture. Cette primauté du commercial ne me surprend plus, tout comme cette triste mondialisation qui nous fait ouvrir des bibliothèques en Seine Saint-Denis -de la confiture donnée à des banlieusards. Enfin la vie est une succession inlassable de rideaux tombés, je l'ai dit; rideaux qui tombent sur la culture -les uns après les autres, et chaque semaine, on n'en finit plus d'assassiner cette grande dame- ,rideaux qui tombent sur l'esprit humain et sur ses beautés. Ce week-end j'ai vu un autre rideau tomber et c'est mon propre propriétaire qui l'a fait descendre: l'incapable et grossier homme a tenté de m'expulser de mon appartement avec la mollesse d'un gosse endeuillé -bien que je prédise un revival du deuil comme pratique branchée d'ici l'automne 2013.
S'appuyant complaisamment sur la base faiblarde du non-règlement de mes six derniers mois de loyer pour étaler sa narration décolorée, cet homme sans imagination s'est livré à une interprétation des plus fades de la figure obsolète du sale type borné. Je dis "base faiblarde" parce que bien sûr l'argument d'origine ne fonctionne pas plus qu'une intrigue sans inceste: l'autre me réclame la somme, je lui rappelle alors les jerricanes de douleur mentale remis chaque mois devant sa porte -en temps et en heure-, et monsieur fait la sourde oreille; réaction typique, trop connue des montreurs de vérité comme moi qui s'introduisent dans les spectacles de fin d'année d'école primaire et rappellent à voix haute les faiblesses de l'intrigue. Bourgeoisement campé sur ses certitudes, le type ne faiblit pas, agacé même que je le mette face à ses contradictions, et va jusqu'à se montrer violent et bien sûr j'ai droit à la violence bien sage d'un gavé d'hollywoodien, dont les poings ont des bruits de bois et font couler du sang propre, sans aucun souci réaliste. Dégoûté par si peu d'initiative, j'ai préféré faire volte-face et tourbillonner un peu avant de m'évanouir sanglant sur le carrelage pour réfléchir à des thématiques plus importantes. La suite ne doit son salut qu'à moi-même: jugeant l'action trop plan-plan, j'ai récupéré le motif bourgeois du nez cassé pour l'augmenter d'une sodomie forcée et ainsi présenter au commissariat l'argumentation plausible pour faire enfermer ce dangereux individu qui ne connait même pas Kandinsky, ou du moins n'affiche aucune de ses œuvres sur sa porte d'entrée, ce qui revient au même.
Ma diffamation a semble-t-il satisfait la police; je suis heureux de voir qu'il lui arrive de faire son travail et pas seulement de m'arrêter parce que je frappe les ignorants qui applaudissent aux mauvais moments lors des concerts de free-jazz. Cette réhabilitation de la force policière est malheureusement entachée par le souvenir encore tenace de cette ridicule tentative d'expulsion. Il est vrai que je suis toujours déçu lorsqu'il m'arrive quelque chose de mal -une trop grande attente, peut-être- mais il faut bien reconnaître que mon propriétaire a performé comme un amateur. J'aurai tout de même la générosité de compter mon aide dans l'évaluation, histoire de sauver la note.

1/10

mardi 18 janvier 2011

Belle époque pour vous verrez quoi

Je critique beaucoup. J'en ai conscience. Il faut dire qu'à renforts malsains d'introspections innombrables débutant avec le réveil et finissant avec un sommeil lourd de whisky, de drogues et de déceptions convoquées, j'ai fini par acquérir une science de moi-même incroyablement poussée; elle me dispense de toute psychanalyse et valide ainsi mon personnage dédaigneux des freuditudes poussives que l'homme moderne et hype se doit aujourd'hui de qualifier de vieillerie. En ce qui me concerne, voilà plus de vingt ans que la psychanalyse -investie si précocement par le vulgus- est venue remplir la poubelle mentale où je m'efforce de jeter, progressivement, le monde et tout ce qui le perpétue. Elle y a rejoint les grands concepts condamnés par mon esprit, les actes humains méprisés par mon âme, les gens bannis par mon ennui. Toute cette ordure me fait courber l'échine, c'est vrai, mais jamais je n'ai eu la faiblesse de l'alléger. Jamais je n'ai exhumé quoique ce soit. Du moins jusqu'à la semaine dernière.
La semaine dernière, je l’avoue, j’ai cédé à mes humanités : peut-être adouci par un contexte hivernal prometteur de dépressions sordides chez mes proches et donc de critiques prochaines de leurs faiblesses, je me suis surpris à sécréter l’une des trois émotions prolétaires (dans l’ordre : l’Amour, le SMIC et Patrick Sébastien). Sans emploi et ne recevant que les chaînes polonaises, c’est bien du premier mal que je suis atteint. Qu’on ne m’imagine pas mordeur de roses ou marcheur longitudinal de fleuves populeux ; mon sentiment s’exprime avec la délicatesse d’un film muet.
Il faut dire que je n’ai qu’à recevoir, à rendre comme le miroir ; elle aime par flèches complexes, intelligente et rousse, et moi sous les assauts je me contente de voir, moi critique amoureux, moi spectateur conquis. Car son amour est une performance.
Nous marchons –loin des fleuves-, s’accordant le main dans la main par autodérision, chroniquant le kitsch des architectures ; je l’appelle Natacha et elle connait mon vrai nom.
Ses baisers effacent toutes les femmes de ma vie, y compris les réelles. Parfois ces baisers s’étendent et nous nous égarons dans les lieux publics, se moquant bien du regard des bourgeois et des trois internautes un peu frustrés que la fonction vidéo de mon téléphone soulage éphémèrement.
Puis généralement nous croisons mon ex-femme qui par hasard passe par son hall d’entrée pour rentrer chez elle, et nous fuyons en riant de sa mine démise. Ah, le bonheur est ailé ! Le bonheur a les yeux grands, la chevelure orange ; Natacha me donne sa main hilare et nous courons dans la ville, badigeonnés d’amour, se roulant dans la joie. Natacha est sans faille, son plafond se confond avec le ciel.
J’ai hâte de voir sa performance lorsque je la quitterai vendredi prochain.

2/10

dimanche 10 octobre 2010

Triste époque pour la séparation

Clairement, les deux histrions avaient prévu le coup ; assassiner le théâtral se prémédite. Moi-même, lorsque fringant étudiant encore socialement acceptable je prévoyais de tuer la vieille dramaturgie classique pour la remplacer par une forme d’expression scénique basée sur la récitation d’insultes sur fond de diapositives à imagerie vaginale, je dois bien admettre que j’avais quelques arrière-pensées pas tout à fait récentes. Sans vouloir vous accabler d’anecdotes personnelles sexuellement chargées et dérangeantes –je réserve habituellement cette chance à mes compagnons d’ANPE-, sachez que mon projet était de séduire la dadaïste Natacha du premier rang et de devenir le premier membre non-puceau du Club d’Antithéâtre Sorbonnard –composé à l’époque de moi et d’un étudiant en cinéma qui se révéla plus tard uniquement motivé par la perspective de me faire tourner dans un snuff movie pornographique et cannibale.
Encore étions-nous sincères. Chez les deux amoureux au rabais croisés cet été à l’aéroport d’Hong-Kong et agglutinés visqueusement dans l’attente d’une imminente séparation, l’artifice crevait les yeux.
D’abord, qu’ils apprennent qu’on ne base pas une performance sur une seule bonne idée : certes, l’interracial aurait pu donner du relief au passif suggéré de leurs deux personnages, encore aurait-il fallu pouvoir tenir la distance. Cet accent mâchonné de la partie femelle du couple, cette caucasiannitude surexploitée du mâle, cet agencement académique de leurs deux corps, négligeant insolemment les travaux et recherches de mon cousin dans le domaine de la danse contemporaine –se tenir debout sur le ventre de son partenaire avec en arrière-plan des diapositives à imagerie vaginale était trop demandé- ; tout dans cette scandaleuse caricature évoquait le flegme, la peur irrationnelle d’aller voir au-delà de son propre nez. Nos deux tourtereaux –dont le motif de séparation fut occulté par un snob mépris de la narration classique- se croyaient sans doute originaux à mélanger stérilement du chinois et du californien, à l’heure où le melting pot mondial nous gratifie de délicieux couples serbo-polonais, germano-nigérians ou franco-sarcellois. Alors oui, on me répondra que c’est au spectateur d’interagir avec l’œuvre et qu’ici, il lui était donné une formidable matière pour deviner le background du couple. La belle affaire ; un riche américain curieux de profiter « en vrai » des compétences sexuelles d’extrême-orientales ordinairement concédées par un téléchargement hebdomadaire et extraconjugal, une hongkongaise désireuse de débrider un peu son palmarès amoureux, une rencontre en quiproquo amorcée par une interrogation sur le tarif de la dame, quelques jours de relation, la soudaine compréhension que nulle créature d’aucun point du globe ne les sortira de l’ennui profond d’une vie parentale et désillusionnée, les larmes consécutives de cette brusque lucidité et enfin la ridicule tentative de sauver les meubles en mettant ces sanglots sur le compte de la séparation.
Il est regrettable voire négationniste qu’aux portes de la Chine notre kongaise n’ait pas songé un instant à glisser une brève parabole sur la privation des libertés individuelles, à balbutier un haïku dénonciateur de l’agent orange ou à déplorer l’absence de desserts glacés sur la carte des restaurants japonais. Etre asiatique aujourd’hui, ce n’est pas prétexter des yeux bridés pour justifier ses œillères. C’est entre autres offrir en pâture aux cinéphiles parisiens une peinture sociale mâtinée de violence gratuite ; perversité malsaine qui faisait cruellement défaut à cette séparation faiblarde qu’avec une sévérité juste je qualifierai d’occidentale.
Une inconscience sociale et politique, un scénario superficiel, et surtout un manque stupéfiant d’originalité interraciale ; voilà le trépied plus que bancal de cette farce dont la capture vidéo pourrira longtemps dans la mémoire de mon téléphone portable.Certes les borborygmes mouillants prononcés par la moitié féminine exhalaient un pathos que je ne renierais pas, mais il serait injuste d’accorder plus d’un point à ce cabotinage sans fraîcheur alors que j’ai renié ma sœur depuis qu’elle a épousé un vulgaire vosgien.

1/10

lundi 13 septembre 2010

Triste époque pour la mauvaise surprise

La déception n’est plus ce qu’elle était. Je ne voudrais pas paraître passéiste, parce qu’on est lundi et que lundi je joue habituellement mon personnage de petit con gérontophobe pour mieux ramasser dans les boîtes parisiennes d’impromptues gamines approximativement mineures en leur promettant d’efficaces tables rases du passé qui les rattache au père incestueux dont la figure sévère et bornée envahit encore leur vie amoureuse, mais tout de même il faut bien avouer qu’en matière d’attentes trompées et d’espoirs sabotés, nos parents étaient mieux lotis.
Moi-même, pourtant suffisamment jeune pour regretter sans l'avoir connue l'ère pré-décadence de la musique qui comme chacun sait fut brutalement assassinée en 1966 par un conglomérat barbare dont la composition change selon mon degré d'alcoolémie, je me souviens encore d'une époque où l'on savait pleurnicher sur la tombe de ses espérances et sur l'indéniable absence de Megazord au pied du sapin. Qui de ma génération pourtant sacrément désabusée dès la naissance ne regrette pas la fraîcheur de ces petites filles baveuses en monocouette assénant sans vergogne un « j't'aime pas » au milieu d'une boum désertée par le coup fatal des huit heures et demie du soir? Qui n'a jamais écrasé de rage sa brique de Banga en voyant l'une de ces gamines succomber le même soir au charme d'un futur manutentionnaire savourant ses dernières années de gloire amoureuse avant le fauchage impitoyable et juste de la quatrième techno? Qui encore aujourd'hui ne se fait pas refouler à l'entrée des écoles primaires parce qu'il traumatise les actuelles pimbêches de huit ans et que parfois même la nostalgie le pousse dans des retranchements dont la justice a démontré la parfaite légalité lors de mon procès le huit juillet dernier?
Il faut le dire, de nos jours je peine à être déçu.
Pour commencer le monde de la culture n'aide pas. Dans ce vaste bouillon où la connaissance s'offre comme un chiendent au premier ouvrier qualifié venu, où l'on n'a qu'à se pencher pour ramasser sous forme numérique un morceau d'autre monde, la déception s'étiole, se fane, finit broyée par la stupide et démocratique multiplication des possibles de notre société moderne.
Nos poumons n'ont plus de place pour ce délicieux soupir d'après l'écoute d'un deuxième album, ce triste « oh » à la fermeture d'un roman à suspense, pour ce rire nerveux au moment où la demoiselle draguée en ligne depuis des mois s'avère être un cadavre secondé au clavier par un mari perturbé; car désormais passer à autre chose est un réflexe. Comment pourrai-je encore m'introduire illégalement dans des garden parties et pester sur le lent fléchissement de Radiohead dès l'album Pablo Honey? Avant qu'un vigile ne m'empoigne en m'appelant par mon prénom et ne me jette dehors, on aura eu le temps de me rire au nez et de me rétorquer plusieurs centaines d'autres groupes pour racheter ma déception.
Ah, Démocratie! Qu'as-tu fait du désespoir? Et toi, Progrès? Pourquoi jonches-tu l'avenir de lendemains qui chantent, puisque les hommes sont sourds?
Notre époque -car c'est bien elle que je chronique- s'est perdue dans le dynamisme, dans le changeable, dans le bonheur et toutes ces stérilités pop. Heureusement je résiste. L'espoir glisse sur moi. Peut-être qu'un jour Babylone et ses mensonges auront raison de moi, peut-être que je me laisserai aller à dire que la vie n'est pas si mal, qu'on vit une formidable époque et que l'avenir a les bras chargés de cadeaux.
Il faut croire qu’on n’enferme pas la surprise. Quand je convoque la déception elle me fait faux bond et j'en arrive presque à passer de bons moments, à me réjouir et ainsi à brader cette mine pas dupe et déconfite qui me distingue ordinairement de la caissière béate ou du balayeur jubilant.
Oui, l'optimisme me gagne. Qu'un bastion du désespoir comme moi faiblisse est le signe irréfutable d'une société malade, touchée au plus profond de son nihilisme et vomissant de l'espoir à tort et à travers.
J'accorde tout de même un point à cette déception du vingt-et-unième siècle dont la faiblesse fut, malgré tout, une appréciable mauvaise surprise.

1/10

jeudi 29 juillet 2010

Triste époque pour la bande originale

Paris. Le jour. Soleil aveuglant. La foule autour de moi se presse et croit m’engloutir avec elle alors que je marche sur les chapeaux de ces moutons indiscernables ; sans le comprendre ils me soutiennent sur leurs médiocrités et me portent aux nues, abaissent infiniment le niveau et me laissent seul à celui de la mer. Certaines mauvaises langues prétendront que c’est pour le seul plaisir de toiser le peuple que je me suis rendu au cinéma Gaumont Parnasse (aux bigarrures et fréquentations éminemment front pop’) et que j’y ai constaté l’horreur décadente hollywoodienne de l’Inception de C. Nolan ; mais ces langues-là oublient que mon moteur de vie est la seule vérité, la pure, l’unique, celle qui tire sur tout ce qui bouge depuis son loft varsovien en choquant son verre de whisky pieuvre contre celui d’un peintre non moins polonais et tout aussi renfermé.
Qu’on se rassure : je ne chroniquerai pas ici le film ; au même titre que je ne me mêle pas des agissements de notre police qui s’attache souterrainement à éliminer la racaille communiste, je laisse l’indispensable démolition des œuvres d’arts à mes vagues confrères pigistes et webzineurs.
Ma critique vise plus haut et plus loin, mes corrosions s’attaquent aux grands concepts, elles liquéfient les mondes et désolidarisent les galaxies.
Car au-delà de l’ineptie du scénario de Christopher N., derrière sa pompeuse bande originale, une question se pose et aurait dû se poser dès l’origine de cette merveilleuse idée pas trop mal et gâchée qu’est le cinéma : d’où vient cette manie de bandoriginaliser les films ? Quel protocinéaste reître de Babylone a pu avoir l’idée d’appliquer aux images filmiques une musique supposée aider la narration ? La question reste en suspens et le coupable en levant timidement la main héritera de la note qui conclut cet article.
Pour moi, l’artiste (oublions le « pour moi », en fait) est un guerrier solitaire, un champion, un performeur. Peu importe ce qu’il fait ressentir (au fond, qui a déjà ressenti quelque chose devant un film ?), on n’attend pas de l’artiste un sentiment mais une preuve. De sa puissance, de sa sensibilité, de sa capacité à faire ce que le lambda n’ose même pas percevoir. Mais la réalité, elle aussi à la solde du grand capital, en a décidé autrement pour son cadet des salles obscures et n’a produit que des demi-portions sans autonomie affublées de casquettes délavées et de barbes incohérentes. Que des adolescents tardifs aux lacrymales encore incontinentes me brandissent en réponse la sacro-sainte émotion ; je leur démontrerai avec joie l’inexistence du concept. La beauté, mes enfants, est dans l’analyse, dans la flatterie mutuelle de l’exhibitionniste et du voyeur. Montrez-moi vos nombrils et je les noterai ; et l’art s’arrête là, artistes et critiques y ont chasse gardée, c’est l’apanage des grands esprits et ils ne se rencontrent sûrement pas dans la vacuité de performance du cinématographe.
Me voilà maintenant, emporté par ma prose, à chroniquer le cinéma dans son ensemble et son histoire ; à l’origine je voulais seulement écrire un papier sur le manque de goût vestimentaire du clochard qui mendiait platement à la sortie, mais petit à petit le goût du grandiose m’a fait glisser vers la bande originale et enfin le septième soi-disant art. Soit. La vérité devait parler et elle l’a fait. La note qui suit est polyvalente : elle évalue le film de C.N., la prestation de Leonardo D.C., le concept de bande originale, l’idée du cinéma…

1/10

vendredi 23 juillet 2010

Triste époque pour la lettre d'amour

N’est pas Baudelaire qui veut. Pas même Baudelaire lui-même, d’ailleurs, qui selon moi n’a réussi à se maintenir à son propre niveau que dans les deux premiers vers du poème introductif aux Fleurs du Mal. D'ailleurs, quels vers ! Charles atteint le génie dans ces deux alexandrins qui si je m’attardais dans une chronique d’iceux mériteraient probablement un 2/10 ainsi que le droit d’être recopiés dans ledit article, presque sans remaniement de ma part.
Mais si donc le Poëte en personne n’a pu soutenir la comparaison, d’où le commun, le peuple, le vulgaire tire-t-il l’outrecuidance de s’essayer à l’expression écrite de ses émotions personnelles ? Comment ai-je pu, à l’heure où le rabaissement des héros devrait aboutir à un rabaissement en conséquence de l’individu moyen, recevoir de mon ex-femme cette insipide lettre d’amour et de supplication ? Je pensais pourtant lui avoir inculqué, pendant nos deux années de mariage, un minimum de conscience de sa propre médiocrité, mais non. Les gens ne sont décidément pas ouverts à la critique cruelle, mesquine et majoritairement infondée.
La voilà donc qui s’épanche goulument sur des sentiments éhontément rabâchés depuis sept ans, dans un style sans maîtrise, grossier, irrégulier et faussement archaïque que même le très pop Malcolm Lowry rougirait d’employer. La pauvre avait pourtant eu ses heures de gloire relative, dans le temps, notamment lors de sa fameuse comparaison poétique accidentelle de l’être aimé (moi) à un corps astral, en 2001. On retiendra aussi la justesse de son interprétation, en 99, lors de la non moins célèbre « séance de sexe bestial sous le clair de lune », en collaboration avec moi.
Mais cette fraîcheur a disparu ; madame fait désormais dans le recyclage, dans la systématisation de sentiments normalement spontanés. « Sans toi je meurs, et d’ailleurs je mourrai » dit-elle, avant d’énumérer complaisamment les moyens dont elle dispose actuellement pour s’ôter la vie. On n’en demandait pas tant. Un peu de pudeur eut été apprécié, quoiqu’après six pages de démolition pure et simple de ma confiance en l’humanité, je n’exigeais plus rien de cette lettre lamentable, sinon qu’elle finisse. Ce qui n’a eu lieu que neuf pages plus tard, après une pénible élongation des habituelles pleurnicheries. Quinze pages sans subtilité, tout de même, cela tient de la performance.
L’ignare ex-madame Malt n’a même pas la générosité de lâcher entre deux maladresses le moindre verfremdungseffekt. A croire qu’on n’enseigne plus Brecht dans les écoles maternelles comme je l’avais préconisé dans mes deux lettres ouvertes au ministère de l’éducation nationale.

Je ne compilerai pas ici ses fautes d’orthographe, cela ferait doublon avec la lettre que j'ai envoyée en réponse à son impardonnable prose. Corriger l’orthographe est ma marotte, je l’admets, cela me rappelle l’époque heureuse et lointaine où papa m’emmenait à l’hôpital faire le portrait des grands brûlés en rectifiant soigneusement les vilainetés de leurs peaux. Déjà la critique passait mal.
Mais c’est mon lot. J’en veux pour preuve récente la seconde lettre de mon ex-femme reçue à l’instant en réponse à mes corrections orthographiques. Les mauvaises fois y pullulent, bien sûr : ne supportant pas la rugueuse réalité, elle m’accuse –avec moult fautes d’accord et de concordance des temps- d’avoir moi-même écrit sa lettre d’amour et de me l’être envoyée par une des nombreuses nuits de solitude qui rythment ma vie depuis le divorce. Il est vrai que l’inaltérable bonheur qu’elle partage avec son nouveau mari pourrait rendre sa version cohérente, mais je ne me laisserai pas avoir par ce révisionnisme dont le plot twist éculé rappelle par trop les fictions surannées qu’Hollywood sert à la plèbe depuis le début de sa décadence en 1942.
Ce dernier rebondissement fait donc perdre à mon ancienne chère et tendre cinquante pourcents de sa note déjà faible. D’après Nietzsche, on doit être impitoyablement sévère avec ses amis. Je n’en ai pas. Alors je me rattrape.

0,25/10

Triste époque pour l'agression en couloir de RER

Pourquoi espèré-je encore quelque chose de vous, demi-frères humains? Quand le glas de la culture a retenti en 75 dans les accords mainstream d'un Lou Reed en mal de reconnaissance populacière, j'aurais dû troquer empathie et humanité contre davantage de bon goût et d'esprit critique ; vous m'auriez détesté tout autant mais j'aurais pu vous guider par le Beau jusqu'au locataire du (très haut) dessus, vos insultes en guise d'encouragement. Non non, ne vous en voulez pas je vous en conjure, cousins et cousines un peu simplets. Je porte l'entière responsabilité de ma faiblesse, « aucun homme n'est une île » m'avait judicieusement rappelé mon ami John , je savais donc quoi faire pour cesser de souffrir de votre imperfection. Alors ne vous blâmez pas mes chers germains trisomiques, s’il vous reste suffisamment d'esprit utilisez-le plutôt pour abolir ces horreurs que sont la pop music, la littérature d'après guerre et le cinéma parlant. Je resterai ici quelques éons supplémentaires à sillonner votre monde en quête de vos semi-réussites qui pourraient peut-être extirper une larme divine et un peu d'indulgence de notre (votre) créateur.
C'est pourquoi ce matin je parcourais vos couloirs de RER accompagné de la musique de Stanisław Moniuszko dans mes oreilles et de l'œuvre complète de Kazimierz Wierzyński entre les mains, mes derniers remparts lorsqu'il devient, malgré tout, trop dur de vous aimer. Nous n'étions même plus dans le vulgaire, mais carrément dans le populaire, dans cette antre du Laid , ces vers se pressant de toutes part, se pavanant sans vergogne (à une heure où le Champo diffuse une rétrospective du cinéma de la nouvelle objectivité allemande en version originale sans sous titre), le tout sans écouter de concerto baroque, sans lire l'intégrale de Nietzsche (même une version traduite m'eût convenu), sans accoucher d'une toile néocubiste, ni même faire une représentation d'Hamlet, l'ignorance est l'arrogance de ce peuple.
C'est là au détour d'un couloir insipide (franchement, ce blanc…) que s'est produit ce qui mériterait la palme de l' anti-imagination absolue: un jeune muni d'un « aïpaud » se faisant prendre à parti par un individu bien plus grand, bien plus musculairement fourni et paré d'un couteau à la main. Je n'ai rien contre la représentation de la violence, faisant partie intégrante de l'idiosyncrasie humaine elle a toute sa place en art, je dis seulement qu'après quatre mille ans d'analyse cette thématique requiert de l'imagination et de l'ambition et ne se contente plus d'un simple pastiche de lutte moyenâgeuse. C'est pourquoi je n'ai pu m'empêcher de laisser échapper un bruyant soupir dès le début de cette mascarade en sortant mon carnet d'analyse (appellation bien plus rigoureuse que carnet de notes, vous en conviendrez) ce qui m'a valu de nos deux acteurs un chapelet d'insultes incohérentes (« dégage fils de pute! » pour l'un, « appelle les flics enculé! » pour l'autre), s’ils se laissent aller à de tels débordements émotifs pour une simple critique dans une performance de rue, je frissonne d'avance du résultat à Pleyel ( je n'irai pas de toute manière, je n'aime pas cette salle).
La suite ? Tout amateur un tant soit peu éclairé la voit arriver comme la décadence des floyds après A Saucerful of secrets, l'héroïsme nauséeux et peu convaincant du jeune cherchant à garder son bien, la violence morne et répétitive de l'agresseur, (trente coups de couteaux dans la poitrine selon mes comptes, trente-cinq selon la police, « vous êtes un sale voyeur pervers » selon ma voisine). J'ai dû moi même entrer en scène en empêchant les forces de l'ordre d'intervenir pour permettre au voleur de s'enfuir et à la victime de mourir sur les planches dans la grande tradition moliéresque afin de sauver un peu d'authenticité et d'humain dans cette pâle représentation.
Je n'ai aucune raison de soutenir cette prestation sans talent, je mettrai tout de même un point pour le baladeur laissé à l'abandon par le malandrin paniqué par les cris de la foule entièrement conquise à la cause du jeune homme. C'est fou comme une hémorragie vous rend sympathique aux yeux du vulgus. Une fois que je l'aurai débarrassé des étrons r'n'biesques de son précédent propriétaire, il contiendra avantageusement tout ce qu'a pu produire feu Stanisław Moniuszko. C'est promis je m'occuperai de cela une fois sorti de garde à vue.

1/10

mercredi 21 juillet 2010

Triste époque pour la lucidité de nos enfants

Mes activités sont multiples. Lorsque je ne suis pas occupé à inventer la sous-sous-sous-catégorie d’un genre de rock progressif lui-même imaginé par un confrère chroniqueur qui n’est d’ailleurs peut-être qu’un dédoublement maladif de ma personnalité, à déranger mes voisins de palier à toute heure de la nuit pour leur faire part des innombrables réflexions qui naissent chaque seconde dans mon esprit fertile ou à harceler l’ex-femme que je n’ai jamais vraiment désirée mais qui alimente mes poèmes futuristes sur les relations amoureuses autodestructrices, il m’arrive de flâner dans les parcs municipaux, de m’asseoir parmi les enfants qui jouent et de leur énumérer les rêves qu’ils seraient incapables de réaliser quand bien même ils survivraient à l’inévitable infarctus de leurs quarante-cinq ans –âge que vos papas et mamans atteindront d’ici peu, leur rappelé-je avec sagesse. J’aime à me considérer comme un grand frère, un conseiller qui les encourage bienveillamment à ne pas viser au-delà de l’horizon intellectuel et social pingrement légué par leurs parents. Il faut voir la force avec laquelle ces futurs lambdas combattent dans un premier temps mes implacables vérités ; c’est adorable, si la vision exagérément négative que je donne de l’existence n’était pas mon fond de commerce, ils me redonneraient foi en la vie.
L’un apprend qu’il ne nagera jamais avec les dauphins et que ces craquantes petites bêtes constituent cinquante trois pourcents du « cabillaud et autres poissons » du rectangle pané qu’on lui sert à la cantine, un autre découvre, photo à l’appui, que les petits jeux auxquels sa maman dit se livrer dans sa chambre avec le gros monsieur du lundi n’ont que très peu de rapports avec le Monopoly ; enfin tous apprennent que le Père Noël et la chance de rencontrer un jour le grand amour ont à peu près le même degré de réalité, et pourtant aucun d’eux ne peut s’y résoudre avant les premières vingt-quatre heures. Leur naïveté me fait fondre.
J’aimerais noter pour cette chronique mon petit protégé du moment, un forcené dyslexique de cinq ans qui a sincèrement cru pouvoir faire du vélo sans les stabilisateurs. Probablement bercé par la philosophie moralisatrice et qui-croit-en-des-trucs de la télévision française, le pauvre petit résistait vaillamment à mes sapes psychologiques ; j’avais beau le lancer directement dans des pentes raides pour lui donner un aperçu de ce qu’il attaquait inconsciemment, lui attacher ses « petites roues » en pendentif comme rappel tangible et permanent de son impuissance, ou l’enjoindre à se contenter d’une crème glacée, « seul plaisir que la vie n’a pas encore vidé de sa substance », toujours il se relevait et partait collecter sur les chemins de nouvelles ecchymoses.
J’ai finalement réussi à le raisonner par l’usure, aidé par le contexte favorable de la procédure de divorce de ses parents. Tout de même, j’admire ce petit. Son courage m’a touché. Je lui accorde un point parce qu’en plus d’une compréhension aigüe de comment marche le monde j’ai aussi un cœur.

1/10

Triste époque pour l'accident tragique

« Mon fils ! Vous avez tué mon fils ! » La meilleure des chroniques s'arrêterait probablement là. Oui mais je ne peux me résoudre à n'offrir que le meilleur à l'Art alors que l'Esthète (Moi) se bat chaque jour pour le mieux.
« Mon fils ! Vous avez tué mon fils! » les plus sensibles d'entre moi seront déjà partis en direction des latrines vomir la platitude de ces paroles de peur qu'elles ne contaminent définitivement leur sens du Beau. Cet exercice salvateur m'a permis de me prémunir d'infections graves comme l'achat de livres de poches, un penchant pour les égarements pop de la no-wave et des premiers Throbbing Gristle, ainsi qu'une faiblesse pour le cinéma en couleur.
Mais laissons place à l'analyse, certes un peu froide, mais qui sera toujours utile à mes quasi-semblables sur le pourquoi de ce fiasco.
N'importe quel amateur éclairé de l'art routier aura deviné derrière ce poncif maternel la double opposition bien connue enfant/adulte, vélo/semi-remorque 35 tonnes et déjà le bât blesse : reste t-il encore quelque chose à dire sur ce sujet ? Marcel Panchard ayant assassiné le genre par son carambolage impliquant une colonie de vacances entière en 1993.
Pourquoi ce passéisme forcené? En cette période de revendication de la diversité, de l'accession des minorités à des postes réservés jusque là à une élite occidentale de plus en plus fossilisée, comment se fait-il que nos duettistes osent se cantonner au simple « petit Lucas de 8 ans dehors pour sa première promenade en V.T.T. » et « Manolo regagnant la frontière espagnole après avoir livré sa cargaison de fraises dans le nord de la France, figure de la Vierge trônant sur le tableau de bord ». Il y a ici une prise de position de la part des artistes que je ne peux m'empêcher de trouver malsaine. En outre comment se fait-il qu'en pleine prise de conscience écologique, à l'heure du Grenelle de l'environnement, on fasse encore l'apologie de la puissance d'un semi-remorque lancé à pleine vitesse fonctionnant au gazole? Les auteurs avaient le moyen d'envoyer un message fort à la cité en choisissant une voiture hybride conduite par Nicolas Hulot, ils ont pris la voie de la facilité ; messieurs, être artiste c'est aussi faire preuve de courage.
Même sur un plan purement technique cela n'arrive pas à passer. Manque de moyens ? L'état du vélo et du garçon avant et surtout après la performance laisse peu de doutes quant au choix désinvolte du matériel. Manque de préparation? La peur dans les yeux du garçon avant l'impact, les coups inefficaces de la mère en pleurs sur le torse du conducteur hagard réalisant qu'il vient de désintégrer trois existences en une fraction de seconde cruelle et absurde vont clairement dans ce sens.
Alors oui la foule du commun est conquise par ce pathos étouffant. On me soutiendra que nous sommes le jour du huitième anniversaire de Lucas, que la mère a déjà perdu son mari sur un chantier il y a un an et que le chauffeur serre dans sa main une photographie de son propre fils pour que je « ferme ma gueule de scribouillard » selon l'expression locale.
Je conviens que le final composé dans un premier temps de la foule en cercle autour de l'accident prenant discrètement deux ou trois clichés afin de quémander quelques euros malheureux à Détective Magazine puis de l'arrivée des secours juste cinq minutes trop tard pour sauver l'enfant sont joliment et académiquement exécutés mais dans notre (Mon) domaine il vaut mieux l'échec au médiocre. C'est pourquoi je n'ai pu m'empêcher de huer la mère que je tiens pour responsable de cette Bérézina artistique (rien ne l'obligeait à acheter un vélo pour l'anniversaire de son fils alors que Metal Machine Music vient d'être réédité).
Seule la récupération du cadre du V.T.T. portant les traces de sang du p'tit Lucas (il est temps que je retourne aux toilettes me délester de toutes ces considérations prolétaires qui ont investi mon âme) m'empêche de mettre la note minimale. Je compte l'envoyer à un ami artiste New-Yorkais pour qu'il réalise une œuvre sur le même thème et ainsi montrer à la mère que l'on peut conjuguer intensité et sobriété émotionnelle et ce dès que mon injonction d'éloignement sera rendue caduque.

1/10

Triste époque pour le réveil matinal

Complu dans la prévisibilité pop d'un Metal Machine Music, mon « réveil » (mérite-t-il encore ce nom?) m'a ce matin infligé ses récitations de leçon sur les liens de cause à effets. L'intention naïve de faire succéder une gueule de bois au trop-plein d'alcool n'attardera pas le paternalisme que je réserve habituellement à ces braves hommes de couleur qui chaque jour emploient leurs petits esprits pleins de simplicité à charger des régimes de bananes sur leurs authentiques petites camionnettes, me permettant ultérieurement d'écrire une chronique assassine sur le susdit fruit dont la connotation prolo n'est un secret pour personne. Voilà bien l'occident, son petit rationalisme étriqué qui engourdit l'imagination, interdit la fantaisie et fait progresser la médecine. Car après tout, les indigènes camerounais d'Abidjan, au Mali, avaient-ils besoin de notre « progrès »? N'étaient-ils pas plus heureux à chasser le jaguar sur les bords du Gange en exhibant leurs derrières grossièrement peinturlurés? Pour avoir beaucoup côtoyé ces gentilles bêtes, notamment en regardant les documentaires de la regrettablement accessible Arte lors d'insomnies solitaires probablement dues au départ récent de ma femme avec un type plus jeune, plus beau et qui ne passe pas son temps à la rabaisser devant les invités en énumérant les faiblesses de son parcours scolaire, j'en viendrais presque à dire que j'ai honte d'être blanc. J'irai plus loin: si demain l'esprit nègre se montre subitement sensible à la subtilité d'un whisky pieuvre et s'extirpe un chouïa du moule minimaliste de ses peintures sur paroi de caverne, je suis prêt à troquer ma vilaine peau blanche contre le cuir sombre d'un de ces guerriers d'ébène et à psalmodier leurs charabias chamaniques à condition d'y appliquer une certaine froideur post-punk. Hélas nous ne sommes qu'en 2010 et j'ai conscience que la nouveauté choque. Mais je m'en tape. Rien ne me bâillonne. Que la milice de monsieur Sarkozy vienne me chercher quand elle le souhaite; qu'elle me fusille, je refuserai le bandeau. Il existe de belles choses pour lesquelles on peut mourir et parmi elles il y a le droit de dire que la gueule de bois ça emmerde tout le monde. J'ajoute un demi-point à ma note habituelle à cause de l'euphorie de la révolte et du crack que je prends depuis que ma femme m'a quitté.

1,5/10

Triste époque pour la blessure parisienne

Amis du beau (en me comptant on doit bien arriver à un) vous pouvez couvrir l'art de son linceul ; en effet le dernier havre de paix de la création libre vient de rendre l'âme, froidement exécuté par l'absence inhumaine d'originalité et de talent de M. Adémar.
La multiplication des armes et des instruments de torture dans le sillage de l'avènement d'une nouvelle ère de l'informatique nous laissait espérer un âge d'or dans les causes de décès et de blessures jusque là laissé en pâture aux parangons sclérosés du genre M. Cancer, Arrêt Cardiaque et Accident Domestique pour ne pas les nommer. Mais voilà une fois de plus le genre humain -dont j'ai heureusement rendu ma carte de membre depuis la crétinerie Yulesque "Squeeze" en 1973 - s'est une fois de plus conforté dans la médiocrité et le classicisme le plus castrateur.
Nous étions pourtant prévenus, cette chute en roller dans une banlieue moyenne de pays développé sentait déjà suffisamment l'amateurisme prolo de bas étage. Quel scandale qu'en pleine mondialisation, avec cette dynamique de repli communautaire qui l'accompagne, « l'artiste » n'ait pas voulu donner un signal fort en chutant de son moyen de locomotion en plein désert de Gobi ou les tensions inter-tribales font rage.
En plus de son œuvre notre malheureux créateur a loupé le rendez-vous avec son époque.
Le corps humain est composé d'environ 206 os et 640 muscles, comment peut-on, avec autant de matières à sa disposition, ne rien trouver de mieux qu'une simple rupture du ligament croisé... on pense voir une véritable performance artistique et l'on se retrouve avec un vulgaire joueur de foutbol, c'est pathétique. Une simple rupture des canaux auditifs accompagné d'une désintégration partielle du foie et du tibia aurait pu lui assurer un convenable 1.5/10 et notre confiance quant à sa volonté tout à fait louable de vouloir sortir l'école de la blessure de ce carcan stérile dans lequel elle se trouve.
Il sauve les meubles en ne nous imposant tout de même pas le vomitif « Foulure du poignet en tombant de VTT au cours d'une promenade avec papa sur les chemins vicinaux » mais à prestation lamentable note lamentable, M. Adémar.

1/10

Triste époque pour la scène gériatrique

Ding. Dong. Aujourd'hui sonne assurément la fin de la crevaison de vioque en milieu hospitalier. On ne dira pas qu'on ne l'avait pas vu venir: depuis quelques années, malgré quelques trouvailles liées à la démocratisation de l'euthanasie, les connaisseurs (dont je suis) avaient bien perçu la lente déclinaison de tous ces ancêtres ininspirés à peine capables de manier la dernière phrase, tout juste aptes à bégayer un adieu, impuissants à spectaculariser leur cessation de vie par un flot d'hémoglobine inattendu ou un relâchement sonore des sphincters. Alors oui, bien sûr, les spécialistes (que je leade avec talent) s'y attendaient, mais tout de même, Phyllis Bourgain, vieille périgourdine (un peu d'exotisme était trop demandé) responsable de la fin du genre, a mis le paquet. Tout, dans son claquage, respire l'amateurisme: elle conserve son calme lorsque les médecins lui annoncent l'échéance, pas de larmes, absence totale de gémissements, acceptation franche et heureuse de la mort, quelques sanglots affreusement classiques probablement samplés sur une banque de sons au rabais lorsqu'elle apprend qu'aucun de ses enfants ne sera présent le jour J, dernières prières au dieu catholique -déplorable à l'heure d'Internet, du revival païen et de la présidence d'Obama-, petit râle académique qu'Hollywood la grande prostituée ne renierait pas, et enfin décès indistinctible, dans la solitude d'une chambre kitsch égarée quelque part dans la fin des années 80. L'élite (moi) frissonnerait si la clim' était digne de ce nom.
Je donne un point pour la surprenante purée d'hôpital dérobée à la défunte lors de ma visite sous fausse identité, malaxage de pommes de terre fade, infâme et absurde dans la pure tradition beckettienne. Le post-drone de la gastronomie.

1/10

Triste époque pour la scène de l'Est

Franchement, de qui se moque-t-on ? On s'attendait à voir l'excellence de la mendicité orientale, ces tremolos enfantins doublés d'un regard lourd de reproche et cette insistance dépassant allègrement la minute qui fait tout le charme de l'école roumaine. A la place de quoi on a eu droit à un poussif « s'il vous plait » d'à peine quelques secondes, on voit ici clairement la volonté de l'artiste de rentrer dans le rang alors qu'il ne maîtrise même pas les bases de l'expression classique. Quitte à assister à pareil naufrage on aurait largement préféré une prise de risque toujours artistiquement plus légitime que ce sinistre pastiche de clochard Notre-Damesque.

1/10