Whisky Pieuvre

Whisky Pieuvre

vendredi 23 juillet 2010

Triste époque pour la lettre d'amour

N’est pas Baudelaire qui veut. Pas même Baudelaire lui-même, d’ailleurs, qui selon moi n’a réussi à se maintenir à son propre niveau que dans les deux premiers vers du poème introductif aux Fleurs du Mal. D'ailleurs, quels vers ! Charles atteint le génie dans ces deux alexandrins qui si je m’attardais dans une chronique d’iceux mériteraient probablement un 2/10 ainsi que le droit d’être recopiés dans ledit article, presque sans remaniement de ma part.
Mais si donc le Poëte en personne n’a pu soutenir la comparaison, d’où le commun, le peuple, le vulgaire tire-t-il l’outrecuidance de s’essayer à l’expression écrite de ses émotions personnelles ? Comment ai-je pu, à l’heure où le rabaissement des héros devrait aboutir à un rabaissement en conséquence de l’individu moyen, recevoir de mon ex-femme cette insipide lettre d’amour et de supplication ? Je pensais pourtant lui avoir inculqué, pendant nos deux années de mariage, un minimum de conscience de sa propre médiocrité, mais non. Les gens ne sont décidément pas ouverts à la critique cruelle, mesquine et majoritairement infondée.
La voilà donc qui s’épanche goulument sur des sentiments éhontément rabâchés depuis sept ans, dans un style sans maîtrise, grossier, irrégulier et faussement archaïque que même le très pop Malcolm Lowry rougirait d’employer. La pauvre avait pourtant eu ses heures de gloire relative, dans le temps, notamment lors de sa fameuse comparaison poétique accidentelle de l’être aimé (moi) à un corps astral, en 2001. On retiendra aussi la justesse de son interprétation, en 99, lors de la non moins célèbre « séance de sexe bestial sous le clair de lune », en collaboration avec moi.
Mais cette fraîcheur a disparu ; madame fait désormais dans le recyclage, dans la systématisation de sentiments normalement spontanés. « Sans toi je meurs, et d’ailleurs je mourrai » dit-elle, avant d’énumérer complaisamment les moyens dont elle dispose actuellement pour s’ôter la vie. On n’en demandait pas tant. Un peu de pudeur eut été apprécié, quoiqu’après six pages de démolition pure et simple de ma confiance en l’humanité, je n’exigeais plus rien de cette lettre lamentable, sinon qu’elle finisse. Ce qui n’a eu lieu que neuf pages plus tard, après une pénible élongation des habituelles pleurnicheries. Quinze pages sans subtilité, tout de même, cela tient de la performance.
L’ignare ex-madame Malt n’a même pas la générosité de lâcher entre deux maladresses le moindre verfremdungseffekt. A croire qu’on n’enseigne plus Brecht dans les écoles maternelles comme je l’avais préconisé dans mes deux lettres ouvertes au ministère de l’éducation nationale.

Je ne compilerai pas ici ses fautes d’orthographe, cela ferait doublon avec la lettre que j'ai envoyée en réponse à son impardonnable prose. Corriger l’orthographe est ma marotte, je l’admets, cela me rappelle l’époque heureuse et lointaine où papa m’emmenait à l’hôpital faire le portrait des grands brûlés en rectifiant soigneusement les vilainetés de leurs peaux. Déjà la critique passait mal.
Mais c’est mon lot. J’en veux pour preuve récente la seconde lettre de mon ex-femme reçue à l’instant en réponse à mes corrections orthographiques. Les mauvaises fois y pullulent, bien sûr : ne supportant pas la rugueuse réalité, elle m’accuse –avec moult fautes d’accord et de concordance des temps- d’avoir moi-même écrit sa lettre d’amour et de me l’être envoyée par une des nombreuses nuits de solitude qui rythment ma vie depuis le divorce. Il est vrai que l’inaltérable bonheur qu’elle partage avec son nouveau mari pourrait rendre sa version cohérente, mais je ne me laisserai pas avoir par ce révisionnisme dont le plot twist éculé rappelle par trop les fictions surannées qu’Hollywood sert à la plèbe depuis le début de sa décadence en 1942.
Ce dernier rebondissement fait donc perdre à mon ancienne chère et tendre cinquante pourcents de sa note déjà faible. D’après Nietzsche, on doit être impitoyablement sévère avec ses amis. Je n’en ai pas. Alors je me rattrape.

0,25/10

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