Whisky Pieuvre

Whisky Pieuvre

mercredi 21 juillet 2010

Triste époque pour l'accident tragique

« Mon fils ! Vous avez tué mon fils ! » La meilleure des chroniques s'arrêterait probablement là. Oui mais je ne peux me résoudre à n'offrir que le meilleur à l'Art alors que l'Esthète (Moi) se bat chaque jour pour le mieux.
« Mon fils ! Vous avez tué mon fils! » les plus sensibles d'entre moi seront déjà partis en direction des latrines vomir la platitude de ces paroles de peur qu'elles ne contaminent définitivement leur sens du Beau. Cet exercice salvateur m'a permis de me prémunir d'infections graves comme l'achat de livres de poches, un penchant pour les égarements pop de la no-wave et des premiers Throbbing Gristle, ainsi qu'une faiblesse pour le cinéma en couleur.
Mais laissons place à l'analyse, certes un peu froide, mais qui sera toujours utile à mes quasi-semblables sur le pourquoi de ce fiasco.
N'importe quel amateur éclairé de l'art routier aura deviné derrière ce poncif maternel la double opposition bien connue enfant/adulte, vélo/semi-remorque 35 tonnes et déjà le bât blesse : reste t-il encore quelque chose à dire sur ce sujet ? Marcel Panchard ayant assassiné le genre par son carambolage impliquant une colonie de vacances entière en 1993.
Pourquoi ce passéisme forcené? En cette période de revendication de la diversité, de l'accession des minorités à des postes réservés jusque là à une élite occidentale de plus en plus fossilisée, comment se fait-il que nos duettistes osent se cantonner au simple « petit Lucas de 8 ans dehors pour sa première promenade en V.T.T. » et « Manolo regagnant la frontière espagnole après avoir livré sa cargaison de fraises dans le nord de la France, figure de la Vierge trônant sur le tableau de bord ». Il y a ici une prise de position de la part des artistes que je ne peux m'empêcher de trouver malsaine. En outre comment se fait-il qu'en pleine prise de conscience écologique, à l'heure du Grenelle de l'environnement, on fasse encore l'apologie de la puissance d'un semi-remorque lancé à pleine vitesse fonctionnant au gazole? Les auteurs avaient le moyen d'envoyer un message fort à la cité en choisissant une voiture hybride conduite par Nicolas Hulot, ils ont pris la voie de la facilité ; messieurs, être artiste c'est aussi faire preuve de courage.
Même sur un plan purement technique cela n'arrive pas à passer. Manque de moyens ? L'état du vélo et du garçon avant et surtout après la performance laisse peu de doutes quant au choix désinvolte du matériel. Manque de préparation? La peur dans les yeux du garçon avant l'impact, les coups inefficaces de la mère en pleurs sur le torse du conducteur hagard réalisant qu'il vient de désintégrer trois existences en une fraction de seconde cruelle et absurde vont clairement dans ce sens.
Alors oui la foule du commun est conquise par ce pathos étouffant. On me soutiendra que nous sommes le jour du huitième anniversaire de Lucas, que la mère a déjà perdu son mari sur un chantier il y a un an et que le chauffeur serre dans sa main une photographie de son propre fils pour que je « ferme ma gueule de scribouillard » selon l'expression locale.
Je conviens que le final composé dans un premier temps de la foule en cercle autour de l'accident prenant discrètement deux ou trois clichés afin de quémander quelques euros malheureux à Détective Magazine puis de l'arrivée des secours juste cinq minutes trop tard pour sauver l'enfant sont joliment et académiquement exécutés mais dans notre (Mon) domaine il vaut mieux l'échec au médiocre. C'est pourquoi je n'ai pu m'empêcher de huer la mère que je tiens pour responsable de cette Bérézina artistique (rien ne l'obligeait à acheter un vélo pour l'anniversaire de son fils alors que Metal Machine Music vient d'être réédité).
Seule la récupération du cadre du V.T.T. portant les traces de sang du p'tit Lucas (il est temps que je retourne aux toilettes me délester de toutes ces considérations prolétaires qui ont investi mon âme) m'empêche de mettre la note minimale. Je compte l'envoyer à un ami artiste New-Yorkais pour qu'il réalise une œuvre sur le même thème et ainsi montrer à la mère que l'on peut conjuguer intensité et sobriété émotionnelle et ce dès que mon injonction d'éloignement sera rendue caduque.

1/10

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