Whisky Pieuvre

Whisky Pieuvre

dimanche 10 octobre 2010

Triste époque pour la séparation

Clairement, les deux histrions avaient prévu le coup ; assassiner le théâtral se prémédite. Moi-même, lorsque fringant étudiant encore socialement acceptable je prévoyais de tuer la vieille dramaturgie classique pour la remplacer par une forme d’expression scénique basée sur la récitation d’insultes sur fond de diapositives à imagerie vaginale, je dois bien admettre que j’avais quelques arrière-pensées pas tout à fait récentes. Sans vouloir vous accabler d’anecdotes personnelles sexuellement chargées et dérangeantes –je réserve habituellement cette chance à mes compagnons d’ANPE-, sachez que mon projet était de séduire la dadaïste Natacha du premier rang et de devenir le premier membre non-puceau du Club d’Antithéâtre Sorbonnard –composé à l’époque de moi et d’un étudiant en cinéma qui se révéla plus tard uniquement motivé par la perspective de me faire tourner dans un snuff movie pornographique et cannibale.
Encore étions-nous sincères. Chez les deux amoureux au rabais croisés cet été à l’aéroport d’Hong-Kong et agglutinés visqueusement dans l’attente d’une imminente séparation, l’artifice crevait les yeux.
D’abord, qu’ils apprennent qu’on ne base pas une performance sur une seule bonne idée : certes, l’interracial aurait pu donner du relief au passif suggéré de leurs deux personnages, encore aurait-il fallu pouvoir tenir la distance. Cet accent mâchonné de la partie femelle du couple, cette caucasiannitude surexploitée du mâle, cet agencement académique de leurs deux corps, négligeant insolemment les travaux et recherches de mon cousin dans le domaine de la danse contemporaine –se tenir debout sur le ventre de son partenaire avec en arrière-plan des diapositives à imagerie vaginale était trop demandé- ; tout dans cette scandaleuse caricature évoquait le flegme, la peur irrationnelle d’aller voir au-delà de son propre nez. Nos deux tourtereaux –dont le motif de séparation fut occulté par un snob mépris de la narration classique- se croyaient sans doute originaux à mélanger stérilement du chinois et du californien, à l’heure où le melting pot mondial nous gratifie de délicieux couples serbo-polonais, germano-nigérians ou franco-sarcellois. Alors oui, on me répondra que c’est au spectateur d’interagir avec l’œuvre et qu’ici, il lui était donné une formidable matière pour deviner le background du couple. La belle affaire ; un riche américain curieux de profiter « en vrai » des compétences sexuelles d’extrême-orientales ordinairement concédées par un téléchargement hebdomadaire et extraconjugal, une hongkongaise désireuse de débrider un peu son palmarès amoureux, une rencontre en quiproquo amorcée par une interrogation sur le tarif de la dame, quelques jours de relation, la soudaine compréhension que nulle créature d’aucun point du globe ne les sortira de l’ennui profond d’une vie parentale et désillusionnée, les larmes consécutives de cette brusque lucidité et enfin la ridicule tentative de sauver les meubles en mettant ces sanglots sur le compte de la séparation.
Il est regrettable voire négationniste qu’aux portes de la Chine notre kongaise n’ait pas songé un instant à glisser une brève parabole sur la privation des libertés individuelles, à balbutier un haïku dénonciateur de l’agent orange ou à déplorer l’absence de desserts glacés sur la carte des restaurants japonais. Etre asiatique aujourd’hui, ce n’est pas prétexter des yeux bridés pour justifier ses œillères. C’est entre autres offrir en pâture aux cinéphiles parisiens une peinture sociale mâtinée de violence gratuite ; perversité malsaine qui faisait cruellement défaut à cette séparation faiblarde qu’avec une sévérité juste je qualifierai d’occidentale.
Une inconscience sociale et politique, un scénario superficiel, et surtout un manque stupéfiant d’originalité interraciale ; voilà le trépied plus que bancal de cette farce dont la capture vidéo pourrira longtemps dans la mémoire de mon téléphone portable.Certes les borborygmes mouillants prononcés par la moitié féminine exhalaient un pathos que je ne renierais pas, mais il serait injuste d’accorder plus d’un point à ce cabotinage sans fraîcheur alors que j’ai renié ma sœur depuis qu’elle a épousé un vulgaire vosgien.

1/10

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