Whisky Pieuvre

Whisky Pieuvre

vendredi 23 juillet 2010

Triste époque pour l'agression en couloir de RER

Pourquoi espèré-je encore quelque chose de vous, demi-frères humains? Quand le glas de la culture a retenti en 75 dans les accords mainstream d'un Lou Reed en mal de reconnaissance populacière, j'aurais dû troquer empathie et humanité contre davantage de bon goût et d'esprit critique ; vous m'auriez détesté tout autant mais j'aurais pu vous guider par le Beau jusqu'au locataire du (très haut) dessus, vos insultes en guise d'encouragement. Non non, ne vous en voulez pas je vous en conjure, cousins et cousines un peu simplets. Je porte l'entière responsabilité de ma faiblesse, « aucun homme n'est une île » m'avait judicieusement rappelé mon ami John , je savais donc quoi faire pour cesser de souffrir de votre imperfection. Alors ne vous blâmez pas mes chers germains trisomiques, s’il vous reste suffisamment d'esprit utilisez-le plutôt pour abolir ces horreurs que sont la pop music, la littérature d'après guerre et le cinéma parlant. Je resterai ici quelques éons supplémentaires à sillonner votre monde en quête de vos semi-réussites qui pourraient peut-être extirper une larme divine et un peu d'indulgence de notre (votre) créateur.
C'est pourquoi ce matin je parcourais vos couloirs de RER accompagné de la musique de Stanisław Moniuszko dans mes oreilles et de l'œuvre complète de Kazimierz Wierzyński entre les mains, mes derniers remparts lorsqu'il devient, malgré tout, trop dur de vous aimer. Nous n'étions même plus dans le vulgaire, mais carrément dans le populaire, dans cette antre du Laid , ces vers se pressant de toutes part, se pavanant sans vergogne (à une heure où le Champo diffuse une rétrospective du cinéma de la nouvelle objectivité allemande en version originale sans sous titre), le tout sans écouter de concerto baroque, sans lire l'intégrale de Nietzsche (même une version traduite m'eût convenu), sans accoucher d'une toile néocubiste, ni même faire une représentation d'Hamlet, l'ignorance est l'arrogance de ce peuple.
C'est là au détour d'un couloir insipide (franchement, ce blanc…) que s'est produit ce qui mériterait la palme de l' anti-imagination absolue: un jeune muni d'un « aïpaud » se faisant prendre à parti par un individu bien plus grand, bien plus musculairement fourni et paré d'un couteau à la main. Je n'ai rien contre la représentation de la violence, faisant partie intégrante de l'idiosyncrasie humaine elle a toute sa place en art, je dis seulement qu'après quatre mille ans d'analyse cette thématique requiert de l'imagination et de l'ambition et ne se contente plus d'un simple pastiche de lutte moyenâgeuse. C'est pourquoi je n'ai pu m'empêcher de laisser échapper un bruyant soupir dès le début de cette mascarade en sortant mon carnet d'analyse (appellation bien plus rigoureuse que carnet de notes, vous en conviendrez) ce qui m'a valu de nos deux acteurs un chapelet d'insultes incohérentes (« dégage fils de pute! » pour l'un, « appelle les flics enculé! » pour l'autre), s’ils se laissent aller à de tels débordements émotifs pour une simple critique dans une performance de rue, je frissonne d'avance du résultat à Pleyel ( je n'irai pas de toute manière, je n'aime pas cette salle).
La suite ? Tout amateur un tant soit peu éclairé la voit arriver comme la décadence des floyds après A Saucerful of secrets, l'héroïsme nauséeux et peu convaincant du jeune cherchant à garder son bien, la violence morne et répétitive de l'agresseur, (trente coups de couteaux dans la poitrine selon mes comptes, trente-cinq selon la police, « vous êtes un sale voyeur pervers » selon ma voisine). J'ai dû moi même entrer en scène en empêchant les forces de l'ordre d'intervenir pour permettre au voleur de s'enfuir et à la victime de mourir sur les planches dans la grande tradition moliéresque afin de sauver un peu d'authenticité et d'humain dans cette pâle représentation.
Je n'ai aucune raison de soutenir cette prestation sans talent, je mettrai tout de même un point pour le baladeur laissé à l'abandon par le malandrin paniqué par les cris de la foule entièrement conquise à la cause du jeune homme. C'est fou comme une hémorragie vous rend sympathique aux yeux du vulgus. Une fois que je l'aurai débarrassé des étrons r'n'biesques de son précédent propriétaire, il contiendra avantageusement tout ce qu'a pu produire feu Stanisław Moniuszko. C'est promis je m'occuperai de cela une fois sorti de garde à vue.

1/10

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