Whisky Pieuvre

Whisky Pieuvre

mardi 18 janvier 2011

Belle époque pour vous verrez quoi

Je critique beaucoup. J'en ai conscience. Il faut dire qu'à renforts malsains d'introspections innombrables débutant avec le réveil et finissant avec un sommeil lourd de whisky, de drogues et de déceptions convoquées, j'ai fini par acquérir une science de moi-même incroyablement poussée; elle me dispense de toute psychanalyse et valide ainsi mon personnage dédaigneux des freuditudes poussives que l'homme moderne et hype se doit aujourd'hui de qualifier de vieillerie. En ce qui me concerne, voilà plus de vingt ans que la psychanalyse -investie si précocement par le vulgus- est venue remplir la poubelle mentale où je m'efforce de jeter, progressivement, le monde et tout ce qui le perpétue. Elle y a rejoint les grands concepts condamnés par mon esprit, les actes humains méprisés par mon âme, les gens bannis par mon ennui. Toute cette ordure me fait courber l'échine, c'est vrai, mais jamais je n'ai eu la faiblesse de l'alléger. Jamais je n'ai exhumé quoique ce soit. Du moins jusqu'à la semaine dernière.
La semaine dernière, je l’avoue, j’ai cédé à mes humanités : peut-être adouci par un contexte hivernal prometteur de dépressions sordides chez mes proches et donc de critiques prochaines de leurs faiblesses, je me suis surpris à sécréter l’une des trois émotions prolétaires (dans l’ordre : l’Amour, le SMIC et Patrick Sébastien). Sans emploi et ne recevant que les chaînes polonaises, c’est bien du premier mal que je suis atteint. Qu’on ne m’imagine pas mordeur de roses ou marcheur longitudinal de fleuves populeux ; mon sentiment s’exprime avec la délicatesse d’un film muet.
Il faut dire que je n’ai qu’à recevoir, à rendre comme le miroir ; elle aime par flèches complexes, intelligente et rousse, et moi sous les assauts je me contente de voir, moi critique amoureux, moi spectateur conquis. Car son amour est une performance.
Nous marchons –loin des fleuves-, s’accordant le main dans la main par autodérision, chroniquant le kitsch des architectures ; je l’appelle Natacha et elle connait mon vrai nom.
Ses baisers effacent toutes les femmes de ma vie, y compris les réelles. Parfois ces baisers s’étendent et nous nous égarons dans les lieux publics, se moquant bien du regard des bourgeois et des trois internautes un peu frustrés que la fonction vidéo de mon téléphone soulage éphémèrement.
Puis généralement nous croisons mon ex-femme qui par hasard passe par son hall d’entrée pour rentrer chez elle, et nous fuyons en riant de sa mine démise. Ah, le bonheur est ailé ! Le bonheur a les yeux grands, la chevelure orange ; Natacha me donne sa main hilare et nous courons dans la ville, badigeonnés d’amour, se roulant dans la joie. Natacha est sans faille, son plafond se confond avec le ciel.
J’ai hâte de voir sa performance lorsque je la quitterai vendredi prochain.

2/10

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